Le conscient passe la balle à l'inconscient qui repasse la balle au conscient qui repasse la balle à l'inconscient, ...
Pfiouuu.. J'ai failli faire des bêtises.
C'était trop bizarre. Heureusement que le conscient revenait des fois parce que sinon... Ouh là là.
Envie de rire. Envie de danser. Pourtant j'suis allongée et ma tête tourne tellement que je ne suis pas sûre que je pourrai me relever un jour.
C'est long une soirée comme ça. J'aurais le temps de faire plein de choses et évidemment y'a des moments où j'ai envie de dessiner. D'écrire. Mais je crois avoir tout dans la tête.
C'est bien.
J'aime bien.
C'est beau.
À une certaine heure, tout le monde dort. Ou bien essaye. Mais il n'y a pas un bruit.
La seule lumière c'est celle du dehors, de la nuit et celle au dessus des portes des sorties de secours.
Florent dort à côté de moi.
Je sais que je n'y arriverai pas alors je ne dors pas.
La pâle lumière éclaire son visage.
Il est calme. Sa respiration est invisible. Sa bouche close. Il dort comme un roi. Il est beau dans la nuit. Calme.
Qui est-il ?
Est-il sérieux ? Triste ? Drôle ? Sensible ? Pensif ? Rêveur ?
Est-il encore petit ou bien est-il très grand, très mature ?
Il pourrait être n'importe qui. La nuit le transforme en ce qu'il veut, en ce qu'on veut.
Une ombre se dirige vers la porte fenêtre en reniflant. Puis elle s'asseoit, face à la cour, sur un siège noir.
Je me lève à mon tour, et rejoins l'ombre.
Deux autres se joignent à nous.
Un plateau de fruits est entre nous. Des pamplemousses, des oranges, des fraises, des kiwis.
Je mange de tout sauf des pamplemousses parce que c'est trop amer.
Il doit être 6h30 du matin...
Je ne sais pas qui s'est levé il y a environ une demi-heure et a crié d'un air savant "Hé ! On change d'heure ce week-end, il n'est pas 6h mais 7h !!" mais en tout cas il avait tort...
Heureusement parce qu'une nuit comme ça, s'il fallait en plus avancer d'une heure, je ne pourrais pas...
Je retourne près de l'estrade, m'asseoir sur les marches.
Florent est recroquevillé sur lui-même.
Ses jambes à ma place.
Si je veux m'allonger à nouveau, je vais devoir aller ailleurs.
Les ombres discutent doucement et je retourne m'asseoir auprès d'elles.
Puis on décide de retourner dans nos duvets respectifs parce qu'il se fait froid, parce que le sommeil nous guette...
Je reste assise sur les marches, et caresse les cheveux de Florent. J'adore ses cheveux parce qu'ils se remettent à leur place dès qu'on y touche.
Il finit par se réveiller... Il remet ses jambes dans l'alignement de son buste et je peux enfin m'allonger.
J'ai dû dormir... Peut-être un quart d'heure, ou une demi-heure. D'un sommeil lourd sans rêves, qui n'entend rien puisqu'il paraît que Quentin a crié... Je ne l'ai pas entendu.
Vers 9 heures, je me mets derrière le bar avec Boubou et prépare le petit-déjeuner de la bande de poulettes du fond de la salle.
-Qui veut des Frosties ?
-Qui veut des "Choco Pops" ? (enfin maintenant ça s'appelle "Coco Pops" mais j'aimais mieux "Choco Pops")
-Qui veut du jus multivitamines ?
-Qui veut une tartine de brioche avec du nutella ?
J'aime bien.
C'est bien.
C'est chaud.
C'est familial.
C'est comme dans un cocon.
Tout le monde a la voix un peu cassée, les jambes un peu fatiguées, la tête qui tourne beaucoup.
Entre les "Choco Pops" et le nutella, l'inconscient s'empare de moi.
Florent, Simon, Quentin et Éléonore jouent au foot dehors et comme j'ai prêté mes chaussures à Florent parce que les siennes étaient trempées, je sors, pieds nus, et cours dans l'herbe mouillée et glacée, pieds nus, dans ma tenue toute blanche...
Je pensais que ça me réveillerait mais ça réveille ma folie, je me jette au cou de Florent, il me serre dans ses bras, j'ai froid j'ai froid.
Je cours encore dans l'herbe jusqu'à la porte vitrée, je m'attends à avoir les pieds dégoûtants, tout noirs et tout boueux mais en fait ils sont tout beaux, tout propres. L'eau les a nettoyés. Par contre le bas de mon pantalon est un peu gris.
Quand je rentre à la chaumière, ma tante est encore toute endormie, et quand je vais me doucher, je la croise dans son peignoir, la marque des draps sur la joue, les yeux encore sur l'oreiller et la bouche pâteuse. "Oooh... Je viens d'm'rév'ller et è r'vient d'sa fête..." Grand sourire.
Et puis hmmm douche au coquelicot. Eau chaude qui coule sur mon corps endolori, sur ma bouche souriante, sur mes cheveux collés, sur mes paupières fermées.
La soirée a été longue.
Il s'est passé tellement de choses depuis 19h30 la veille.
C'était bien vraiment bien. Bizarre en fait. Mais bien. Un peu mélancolique, un peu fou. J'ai l'impression que tout le monde a fait n'importe quoi, que tout le monde a dansé, que tout le monde a bu, un peu pour faire croire que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Parce que tout le monde va mal en ce moment. Tout le monde a du gris dans le cerveau. De la fumée qui ressort par les oreilles et par le nombril. Du gris du gris du gris entre les neurones. Du gris qui nous plonge dans cet état. On croirait qu'on est tous dans du coton. ça couine un peu. On fait tous des conneries.
Je crois que tout le monde était un peu triste dans notre bande.
Pas par la fête non.
Tous unis mais tous tout seul.
J'aime pas quand il joue au foot. Quand sa vie se limite au ballon au ballon au ballon au ballon au ballon. Qu'il n'a plus aucun sourire. Sauf quand Baptiste dit une bêtise. Même pas drôle d'abord.
J'aime pas quand il a juste l'air sérieux parce qu'il se concentre sur le ballon.

Faut attendre. Faut toujours attendre.
Faut tendre les bras. Se projeter dans un futur qui n'est toujours qu'un conditionnel.

Faut qu'on vive. Ouais, faut qu'on vive.
On est tous dans le même état.
ça va ? ça va ? ça va ? ça va ? ça va ? ça va ?
Ouais ouais c'est ça.
Non ça ne va pas. Mais qu'est-ce qu'on peut bien y faire ?
Zate ize zeu kouéchtieune.